Vendredi, Octobre 10, 2025
MÉDIA D'INFORMATION EN LIGNE | L'AFRIQUE RACONTÉE PAR LES AFRICAINS
ENQUÊTE - Paul Kagame a bâti une stratégie de «soft power» pour asseoir la renaissance économique rwandaise. Kigali, qui vient d’accueillir son «Davos», est aujourd’hui la deuxième ville du continent derrière le Cap pour l’industrie de l’évènementiel.
 
Mi-mai, petit matin frais à Kigali, une fine brise souffle sous un ciel légèrement couvert. Le temps est idéal pour les amateurs de golf qui s'entraînent sur le practice, à peine gênés par les bruits du chantier du tout nouveau club house. Retouche de peinture, pavage des allées… Les ouvriers s'activent aux derniers travaux. Le mobilier du restaurant panoramique et du lounge champagne est entreposé sous plastique, la piscine est en phase de remplissage, on aperçoit les futurs terrains de tennis.
 
« Nous avons besoin de cette infrastructure très haut de gamme pour compléter notre offre », détaille la directrice adjointe, Florence Mukangenzi, en faisant le tour du propriétaire. Depuis 2021, la capitale du Rwanda s'est dotée, en plein centre-ville, d'un golf 18 trous au standard international, dessiné par le joueur sud-africain Gary Player. Une belle vitrine pour le pays aux mille collines, ravagé par le génocide il y a trente ans, dont Paul Kagame, président depuis 2000, a décidé de faire une destination incontournable du continent.
 
Le slogan et logo « Visit Rwanda » s'affiche un peu partout dans la ville qui détonne des autres capitales et mégalopoles africaines. Déjà par son climat tropical tempéré, à 1 500 mètres d'altitude, qui la rend très agréable. Et sa qualité de vie. Propre, aérée, végétalisée et sûre : la réputation de petite Suisse d’Afrique n'est pas usurpée.
 
Pas un papier ne traîne dans les rues, on s'y promène à pied sans problème la nuit ou à bord des dizaines de motos taxis. Disponibles à chaque coin de rue, casque obligatoire, ils ne roulent pas à vive allure et respectent les signalisations.
 

«Le golf, un outil de promotion»

 
Sur ce parcours installé sur les hauteurs du lac Mugazi, des golfeurs au départ d’un trou. DeDios Nsabimana/Alamy via Reuters Connect
 
« C'est la volonté du président de créer un équipement de qualité. Le golf est un véritable outil de promotion », appuie Nathanaël Pietrzak-Swirc, directeur général d'UGolf international, filiale du groupe Duval, entreprise française spécialisée dans l'immobilier. Le golf compte déjà 600 membres parmi les expatriés et l'intelligentsia rwandaise, hauts cadres et ministres, dont le fils de Kagame et le banquier central, un habitué qui joue tous les matins à l'aube.
 
Le projet est porté par l'État, le terrain appartient à la sécurité sociale, l'entreprise RSSB, qui sur le modèle anglo-saxon valorise son patrimoine pour financer les retraites et l'assurance maladie. Il s'appuie sur le Rwanda Development Board (RDB), poisson pilote du développement économique du pays. « La vision stratégique part d'en haut, nous travaillons main dans la main avec le RDB qui nous soutient, notamment lorsqu'on a besoin de budget communication pour coordonner les évènements », commente Nathanaël Pietrzak-Swirc.
 
L'ambition est de hisser le petit État enclavé de 14 millions d'habitants dans la catégorie des économies intermédiaires d'ici 2035. Un défi de taille qui nécessite de quadrupler le revenu par habitant, aujourd'hui à 1000 dollars, tout juste au-dessus de la République démocratique du Congo mais inférieur au Kenya. L’accent est mis sur le tourisme d'affaires et l'évènementiel.
 
Les autorités ont bâti un écosystème autour du narratif Rwanda. « Les PDG qui viennent pour une conférence ressortent bluffés, on leur en met plein la vue ! », glisse un homme d'affaires installé à Kigali, citant le patron de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, et celui d’Accor, Sébastien Bazin.
 
La renaissance économique du pays meurtri en 1994 par le génocide des Tutsis force évidemment le respect. Le Rwanda est devenu le chouchou des bailleurs internationaux qui contribuent à cette renaissance à coups de financements concessionnels (taux limités et échéances longues), limitant ainsi le surendettement. L'image de pays modèle a toutefois sa part d'ombre, comme vient de l’exposer l'enquête « Rwanda classified », menée dans 11 pays par 50 journalistes et publiée notamment Le Monde, Radio France et le Guardian, qui dénonce les dérives autoritaires du régime Kagame, « la mécanique répressive mise en œuvre, y compris hors des frontières ».
 

Deuxième ville derrière Le Cap

 
Le centre de convention de Kigali accueille de nombreux événements. JEAN BIZIMANA / REUTERS
 
Sur le front économique, en particulier ce secteur dit du MICE (Meetings, Incentives, Conferences, Exhibitions) autour de l'événementiel, le Rwanda a fait des pas de géant, se hissant au 3e rang africain derrière l'Afrique du Sud et le Maroc. Kigali est même devenue la deuxième ville du continent après le Cap. Il s'y tient une conférence par semaine en moyenne, dont de grands évènements panafricains et internationaux tel, en 2022, le sommet du Commonwealth. Mi-mai, elle a accueilli plus de 2000 participants à l'Africa CEO Forum, organisé par Jeune Afrique Media Group. C'est un peu le « Davos africain » devenu incontournable pour qui fait du business sur le continent.
 
Après Abidjan, son QG habituel, pourquoi ce choix de Kigali ? « On voulait se déployer dans la partie anglophone en privilégiant l'Afrique de l'Est qui est un symbole d'intégration. Kigali s'est imposé par son infrastructure de premier plan », argue Amir Ben Yahmed, président de Africa CEO Forum. Au premier rang desquelles, son imposant centre de convention qui se repère de loin avec son dôme paré la nuit des couleurs du Rwanda. Beaucoup de participants ont prolongé leur séjour rwandais.
 
Certains se sont mesurés sur le green. « À chaque évènement business, nous organisons une compétition qui nous donne de la visibilité », note le dirigeant d'Ugolf international. D'autres ont choisi la rencontre avec les gorilles de montagne dans le parc des volcans ou un safari à Akagera. Depuis la réintroduction des rhinocéros en 2018, le Rwanda peut s'enorgueillir du label « big five » (lions, léopards, rhinocéros, éléphants et buffle).
 
C'est bien cette offre globale, diversifiée, que le RDB met en avant, axée sur la nature, l'écologie et le haut de gamme. « Nous ne voulons pas de tourisme de masse, notre politique se veut écoresponsable au bénéfice des populations locales », défend Michaella Rugwizangoga, responsable du tourisme au RDB. La découverte inoubliable des gorilles n'est de fait pas à la portée de toutes les bourses, il faut compter pas moins de 1500 dollars.
 
Michaella se félicite des résultats du tourisme obtenus en moins de vingt ans : 10% du PIB, 1 million de visiteurs en 2023, 620 millions de dollars de recettes, 200.000 emplois directs. Signe cette politique volontariste, Kigali a décidé, l’an dernier, de supprimer les visas pour les ressortissants africains, ce qui est assez rare sur le continent. Michaella reconnaît que la capacité hôtelière doit encore s’étoffer même si elle est passée de 3500 à 20.000 chambres.
 
Le groupe Accor est actif, avec son Mantis Kivu Queen Uburanga, un navire hôtel 5 étoiles sur le lac Kivu, et la rénovation à Kigali de l'hôtel Umubanoi, construit dans les années 80, appelé à être un des plus beaux de la ville, sous la marque Mövenpick. « Le Rwanda se projette sur le long terme, en rajoutant régulièrement de nouvelles expériences pour le client », témoigne Olivier Granet, un ancien d'Accor, PDG du fonds Kasada Capital management qui investit dans le secteur hôtelier en Afrique. Kasada structure et pilote le projet Mövenpick.
 
Les gorilles sauvages constituent l’un des piliers du tourisme de nature au Rwanda. IMAGO/robertharding via Reuters

Foot, basket, cyclisme... et pourquoi pas la F1

 
Pour donner de la visibilité à son pays, Kagame mise aussi sur le levier sportif. En étant sur tous les fronts : golf bien sûr, football, basket, cyclisme… « Visit Rwanda » est sponsor de l'équipe londonienne d'Arsenal, partenaire du PSG – le logo est visible dans les tribunes du parc des princes et sur les maillots d'entraînement – et depuis l'an dernier du Bayern Munich. Kigali s'est doté d'un stade de 10.000 personnes – le BK Arena – pour les grandes compétitions sportives, qui reçoit entre autres depuis 2021 le championnat panafricain de la Basketball Africa League, la nouvelle NBA africaine. Autre prise de taille, l'an prochain, le Rwanda accueille les mondiaux du cyclisme. Kagame voit toujours plus loin. Il aurait jeté son dévolu sur la Formule 1, que son président, l'Italien Stefano Domenicali, souhaite implanter en Afrique. Le dirigeant rwandais s'est rendu à plusieurs grands prix, dont celui de Monaco. La candidature rwandaise est-elle réaliste ? « Le potentiel du Rwanda est sans limite », argue Ariella Kageruka du RDB. Pour asseoir ses rêves de grandeur, le gouvernement a aussi entrepris la rénovation et agrandissement du stade historique Amahoro, construit par les Chinois dans les années 80. Pour en faire un équipement ultramoderne, de 25.000 à 45.000 places, homologué Fifa. Au risque d'en faire un éléphant blanc.
 

Petit pays enclavé

 
Mais le nerf de la guerre pour doper l'attractivité, c'est l'accessibilité. Si le Rwanda a une position stratégique, centrale, il souffre de son enclavement. Tout le monde parle du futur aéroport, à horizon 2027-2028, situé à 40 km de Kigali, financé par le Qatar, construit par l'entreprise portugaise Mota-Engil, et qui pourrait être opéré par Vinci. Le verdict de l'appel d'offres est imminent. On parle de 8 millions de passagers prévus contre 1,9 million dans l'aéroport actuel.
 
Très attendue aussi : l'officialisation de Qatar Airways de racheter 49% du capital de Rwandair, qui donnerait un nouvel élan à la petite compagnie nationale, qui aurait accès aux avions de Qatar Airways en leasing. L'objectif pour la compagnie qatarienne serait de faire de Kigali son hub régional, pour faciliter les liaisons entre Doha et le continent. Kigali revendique aussi d'être une place où il fait bon faire du business avec un très bon classement au Doing business de la Banque mondiale - le deuxième en Afrique derrière l'Ile Maurice.
 
Olivier Granet liste les atouts : pas de corruption, guichet unique, efficacité administrative… plus des exemptions fiscales appréciables. «Je réfléchirai à deux fois avant de venir ici. Tout est contrôlé par l'État », tempère un entrepreneur sous couvert d'anonymat, citant la mainmise des entreprises liées à l'État, en particulier le fond entrepreneurial Crystal Venture Partners, propriété du Front patriotique rwandais (FPR), le parti de Kagame, présent dans la finance, l'agroalimentaire et les mines.
 
La démarche de réconciliation initiée par Emmanuel Macron contribue au retour des investisseurs français. Le groupe Duval, l’entreprise tricolore la plus implantée, développe un grand complexe immobilier de 40.000 m2, installé sur une parcelle cédée par l’État tout près du Centre de convention. Baptisé Inzovu Mall, il réunit bureaux de standing, logements, résidence hôtelière (marque française Odalys du groupe Duval), supermarché et enseignes internationales telles que Zara, Levi’s ou H&M.
 
« L’un des atouts est de proposer des achats en duty free aux conférenciers », explique le Rwandais Vicky Murabukirwa, associé du groupe Duval, en charge du projet. On peut s'étonner que des bailleurs comme Proparco et IFC, filiales respectives de l'Agence française du développement et de la Banque mondiale dédiées au secteur privé, soient du financement, avec un prêt de 18 millions de dollars pour un investissement de 70 millions.
 
« Car les activités de commerce et de service génèrent de l'emploi formel, de qualité, justifie Sergio Pimenta, vice-président Afrique d'IFC. Même au Rwanda, dans un environnement solide, il n'est pas facile de trouver des investisseurs sur des montants importants pour de longues durées ». L'autre bémol, fréquemment cité, est le manque de ressources humaines. Si les travaux du club-house sont quasi finis, la direction ne prévoit pas d'ouverture avant septembre ou octobre. « Le temps de recruter et former le personnel à nos métiers.
 
Ce n’est pas simple », reconnaît Florence Mukangenzi. Pour remédier au problème, le gouvernement s’efforce d’attirer des écoles internationales, à l’image du réseau Vatel spécialisé dans le management hôtelier et prochainement d’une école de Dubaï. L’autre stratégie est de faire revenir la diaspora. Après avoir passé 10 ans à Dubaï et à Abou Dhabi pour le groupe Marriott, Florence, par exemple, a choisi de rentrer au pays pour «contribuer à son développement».
 
«J’en ressens de la fierté, je veux donner le meilleur», lance la jeune femme. Pour attirer cette diaspora éduquée, le gouvernement organise chaque année, depuis 2010, les «Rwanda Days» dans un pays étranger. Une grande messe qui s’est tenue pour l’édition 2024, début février à Washington, en présence du président Kagame, réunissant plusieurs milliers de personnes avec un forum d’affaires.
 
Des rendez-vous d’autant plus cruciaux que l’argent versé par la communauté rwandaise expatriée surpasse les investissements directs étrangers.
Source Le Figaro | Anne Cheyvialle

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