Vendredi, Octobre 10, 2025
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FABRICE GOUSSET
Niché dans le 7ème arrondissement de Paris, cet hôtel particulier du XVIIIème siècle a été pendant trente ans le domicile de Karl Lagerfeld. Le lieu a vécu au rythme des mondanités du couturier. Avec son rachat par le Gabon, en 2010, il est devenu un symbole des biens mal acquis.
Son destin est désormais lié au sort de la famille Bongo, chassée du pouvoir par un putsch le 30 août. En cette mi-octobre 2023, une foule d’élégants venus du monde entier se presse sous les dorures d’un hôtel particulier parisien du 7ᵉ arrondissement.
 
Ces galeristes ou acheteurs semblant échappés d’un film de Ruben Östlund déambulent au milieu de meubles et d’objets d’art signés des designers Jean Prouvé, Claude Lalanne ou Philippe Starck. Pour sa première édition française, la foire Design Miami, qui se tient chaque année en Floride et à Bâle, a investi, au 51, rue de l’Université, l’hôtel de Maisons, plus connu sous le nom d’hôtel Pozzo di Borgo, du nom d’une célèbre famille aristocrate corse.
 
Une porte cochère monumentale ouvrant sur une cour pavée, des plafonds exubérants, un parc cerné d’un bosquet où l’on entend siffler les oiseaux… Avec son style néoclassique qui va si bien au théâtre du pouvoir à la française, il ressemble à ces ministères nombreux dans l’arrondissement. Un « mini-Versailles », se pâme un des exposants dans le Wall Street Journal, partenaire de l’événement. Les organisateurs de la foire le rappellent volontiers : c’est ici qu’a vécu pendant près de trente ans l’une des plus célèbres figures de la mode contemporaine, Karl Lagerfeld.
 
Mais du propriétaire actuel il n’est en revanche jamais question. L’affaire manque singulièrement de glamour : la propriété a été achetée en 2010 par une société liée au clan Bongo, cette famille accrochée au pouvoir au Gabon de 1967 à 2023. Elle est devenue depuis l’un des symboles des biens mal acquis, ces rutilantes adresses raflées avec des fonds d’origine douteuse.

Des mondanités comme à l’époque de « Karl »

Depuis plusieurs semaines, l’hôtel Pozzo di Borgo était sorti d’une décennie de sommeil. Il fallait voir, lors de la dernière fashion week parisienne, en septembre, l’excitation de quelques happy few franchissant la porte bleue classée monument historique, pour accéder à ces 1 000 mètres carrés qui furent le décor de tant d’anecdotes extravagantes et de folles soirées. Au premier rang du défilé Victoria Beckham, à quelques centimètres de son ex-footballeur de mari, Anna Wintour, de Vogue, croisait l’influenceuse Kim Kardashian.
 
Les chanteurs Usher et Aya Nakamura ont, quant à eux, applaudi le premier show parisien de la griffe italienne Marni, avant de poursuivre la fête dans les jardins. Un festival de mondanités, comme à la grande époque de « Karl », qui a fait oublier un temps le Gabon et l’argent sale du pétrole, dont la majorité des invités n’a d’ailleurs pas la moindre idée.
 
Mais la chute de la dynastie Bongo, après le coup d’Etat intervenu en août 2023, et l’accélération des poursuites judiciaires pourraient bien tout changer.
 
Et la lumière s’éteindre à nouveau sous les lambris de l’hôtel Pozzo di Borgo. Si l’hôtel particulier est devenu l’objet de tant d’attention, c’est bien grâce à lui : Karl Lagerfeld. L’histoire commence en 1978. Alors qu’il vient de laisser derrière lui son nid de la place Saint-Sulpice, le couturier allemand organise dans le bâtiment vide de la rue de l’Université un dîner pour le mariage de son amie Paloma Picasso, qui épouse un auteur dramatique espagnol, Rafael Lopez-Cambil.
 
Le styliste en vue, à la fois chez Fendi et Chloé, a dessiné pour la fille du peintre une longue robe rouge. C’est son rival Yves Saint Laurent qui l’a habillée pour la cérémonie civile. Les invités du dîner, le couple Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, Charlotte Aillaud - sœur de Juliette Gréco -, l’homme d’affaires américain Fred Hughes, le dandy et grand amour de Lagerfeld Jacques de Bascher, ou le créateur de mode japonais Kenzo finiront la soirée au Palace.
 
La vente de l’hôtel Pozzo di Borgo est conclue en 2010 pour un montant proche des 100 millions d’euros. Quand il s’agit d’investir dans la pierre parisienne, les nouveaux propriétaires n’ont pas de limites. Le clan Bongo, au pouvoir au Gabon depuis 1967, est déjà propriétaire, à Paris et à Nice, d’une trentaine d’adresses.
 
Une grande partie est située dans les quartiers huppés de la capitale : aux abords du triangle d’or, rue François-Iᵉʳ, avenue Victor-Hugo ou avenue Foch.

Bâtiment diplomatique du Gabon

Ces biens sont dans le viseur des juges français depuis 2008, à la suite d’une plainte déposée par les ONG Transparency International et Sherpa.
 
Neuf enfants d’Omar Bongo, dont sa fille aînée et ex-directrice de cabinet, Pascaline, seront finalement mis en examen dans ce dossier. Poursuivis pour « recel de détournement de fonds publics, corruption active et passive, blanchiment et abus de biens sociaux », ils sont soupçonnés de s’être offert frauduleusement ces prestigieuses adresses grâce à l’argent du pétrole - ce qu’ils contestent. La valeur de ces biens a été estimée par la justice française à au moins 85 millions d’euros.
 
A l’époque, l’hôtel Pozzo di Borgo, propriété de la société immobilière française Valnco, liée à l’Etat du Gabon, doit officiellement abriter des missions diplomatiques et héberger le bureau économique gabonais. Les travaux de rénovation sont d’ailleurs directement supervisés par l’ambassadeur du pays à Paris, Flavien Enongoué.
 
Le choix d’insister sur la dimension diplomatique du lieu ne doit rien au hasard et permet de se prémunir contre toute expropriation. « Un cas similaire s’était produit lors de l’affaire Obiang, pour empêcher une saisie au 42, avenue Foch, rappelle Chanez Mensous, responsable de contentieux et plaidoyer à Sherpa.
 
La défense de Teodorin Obiang [vice-président de Guinée équatoriale, condamné en juillet 2021 dans une affaire de bien mal acquis] arguait du fait que ce bâtiment diplomatique était protégé par la convention de Vienne de 1961. » Une décision de la Cour internationale de justice, en décembre 2020, avait finalement rejeté l’argument.

Source Le Monde

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