Vendredi, Octobre 10, 2025
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DÉCRYPTAGE - Une élection présidentielle aura lieu ce dimanche dans une ambiance tendue après avoir été reportée par le pouvoir. Pourquoi le président a-t-il pris le risque de ruiner sa réputation, d’entacher son héritage moral pour quatre semaines de décalage ? Le 3 février, Macky Sall a pris le Sénégal par surprise.
 
Le président du Sénégal Macky Sall, le 25 octobre 2023. JOHANNA GERON/REUTERS
 
Dans une adresse à la nation impromptue, il annonçait l’annulation du décret convoquant les électeurs le 24 du même mois pour la présidentielle. En d’autres termes, le président annulait sine die un scrutin, soulevant une immense bronca. Depuis, le calme est revenu, quand le président a repris la parole pour finalement fixer le vote au 24 mars.
 
Dans ce mois de délais, rien n’a changé, ni les candidats de l’opposition ni celui de la majorité, pas plus que les conditions de l’élection. Le président, qui réclamait la réouverture des candidatures, voire la reprise totale du processus de sélection, n’a rien obtenu. Pourquoi le président a-t-il alors pris le risque de ruiner sa réputation, d’entacher son héritage moral pour quatre semaines de décalage ? Les experts se gardent bien d’avancer une explication à ce qui reste une manipulation parfaitement stérile.
 
En guise d’explication, le chef de l’État et son entourage avançaient alors une potentielle crise institutionnelle porteuse «des germes d’un contentieux post-électoral»: le vote à l’Assemblée nationale d’une motion soupçonnant le Conseil constitutionnel de corruption. Une théorie à laquelle nul ne croit. Ce texte, déposé par un parti d’opposition, le PDS, contre l’exclusion de la liste des candidats de Karim Wade, n’aurait jamais été adopté sans l’appui de la coalition de présidentielle, c’est-à-dire de Macky Sall lui-même.
 
Karim Wade est pourtant loin d’être ami du clan Sall, auquel il doit ses trois années d’emprisonnement pour corruption. Exilé dans le Golfe depuis plus de sept ans, l’ex-ministre n’est pas non plus des plus populaires, loin de là, et sa maigre réputation ne tient qu’à la fidélité d’une petite frange d’électeurs à son père, l’ancien président Abdoulaye Wade. C’est néanmoins très probablement ce petit pourcentage que regrettait le président, un appui potentiel pour Amadou Ba, le candidat du camp majoritaire.
 
En fait, ce que cette tentative de report dit en creux, c’est peut-être la prise de conscience à la présidence d’une défaite possible de l’héritier. L’opposition incarnée par Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), malgré son interdiction, malgré l’incarcération de son leader, Ousmane Sonko, et sa radiation des listes électorales, affiche une belle popularité.
 
Contre cette vague, les voix de Karim Wade étaient certes bien utiles. Mais l’impossibilité pour ce candidat de se présenter faisait peser sur Macky Sall un autre risque, peut-être plus grand. Le retour en politique du fils de l’ex-président, ancienne bête noire, s’est en effet négocié sous la houlette du khalife des mourides, puissante confrérie au poids politique certain. La rebuffade aurait pu vexer le khalife.
 
En s’impliquant aussi personnellement dans une tentative désespérée de sauver le soldat Wade, Macky Sall a fait montre de sa bonne foi dans ce dossier. L’institution judiciaire intraitable Le vote d’une loi d’amnistie, il y a deux semaines, montre également que la présidence a pris en compte un avenir peut-être plus complexe que prévu.
 
En libérant de prison Ousmane Sonko et son candidat, Bassirou Diomaye Faye, l’exécutif contribue à apaiser l’ambiance, mais aussi ses relations avec des hommes qui demain pourraient conduire le Sénégal. Le texte passe aussi l’éponge sur les responsabilités, policières et politiques, dans la féroce répression contre le Pastef, faisant au moins 37 morts depuis 2021. Les enquêtes seront maintenant impossibles. Mais ce que montrent avant tout les errements du président, c’est la perte d’intuition de Macky Sall.
 
Lui qui avait pu s’imposer en 2012 en s’opposant à la volonté d’Abdoulaye de faire un troisième mandat a, à son tour, cédé à la tentation du «tripatouillage» constitutionnel. Il a oublié que, au Sénégal, plus qu’aux arguments de l’opposition c’est à leurs valeurs démocratiques que les Sénégalais sont sensibles, au refus constant et solide de voir leur pays quitter les rails de l’État de droit.
 
Dans son pari «perdant-perdant», Macky Sall a rogné un peu plus sa réputation, qui n’en avait pas besoin. La bonne nouvelle de cette crise est que l’institution judiciaire a parfaitement joué son rôle de gardien du temple, ce qui, en Afrique de l’Ouest, n’est pas si courant.
 
Le Conseil constitutionnel s’est montré intraitable, répétant que le mandat présidentiel ne pouvait être prolongé et que sa fin était fixée au 2 avril. Si les élections se passent bien, le pays sortira sans doute plus fort de ces jours de tensions et pourra se poser comme un vrai modèle de démocratie africain face aux dérives autoritaires des militaires sahéliens.
Source Le Figaro | Tanguy Berthemet

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