Vendredi, Octobre 10, 2025
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DÉCRYPTAGE - Mahamat Idriss Déby veut renouveler les partenariats de son pays. Le post sur internet s’est répandu comme une traînée de poudre. Fin avril, le média en ligne TchadOne, très lié à l’opposition, affirme sur X que «130 militaires russes appartenant à l’ex-PMC Wagner ont débarqué à N’Djamena».
 
Emmanuel Macron et Mahamat Idriss Déby à l’Élysée, à Paris, à l’occasion d’un dîner officiel, en juin 2023. LUDOVIC MARIN/AFP
 
Pour le site, l’objectif de cette arrivée est «d’assurer la sécurité du (président Mahamat Déby) par les mercenaires russes et manipuler l’opinion par des sentiments antifrançais». L’affaire fait grand bruit avant de peu à peu se dégonfler devant les démentis. Selon une source au fait de ce dossier, le fameux contingent ne compterait pas 130 hommes mais «une trentaine». Par ailleurs, ils ne seraient pas russes mais hongrois assure finalement, un peu plus tard, le même TchadOne. Si l’éventuelle entrée de Wagner, devenu Africa Corps, a soulevé tant de commentaires, c’est qu’elle était crédible.
 
Le président Mahamat Idriss Déby, dit Kaka, qui a «succédé» à son père en 2021, semble cherche à renouveler les partenariats traditionnels de son pays, une tendance dans tout le Sahel. En janvier dernier, il a ainsi effectué une visite remarquée à Moscou, offrant à Poutine une poignée de main chaleureuse. À cette occasion, un renforcement de la coopération avait été annoncé. Faut-il y voir les prémices d’un renversement d’alliances, comme au Mali, au Burkina Faso ou au Niger ?
 
Mahamat Saleh Annadif, le ministre des Affaires étrangères tchadien, balaie la question. «Le Tchad a condamné ce qui se passe en Ukraine. Et après, doit-on pour autant tout arrêter avec la Russie? Nous avons des étudiants qui prennent des cours gratuits en Russie, beaucoup de nos armes viennent de Russie. Moscou est un partenaire. Il faut que les Occidentaux changent de logiciels et arrêtent leur infantilisation», s’agace-t-il. Zone de turbulences entr le tchad et les États-Unis Plusieurs observateurs ne croient pour autant pas un nouvel axe N’Djamena-Moscou.
 
Le rapprochement tiendrait un peu de la prudence. Les Russes sont montés en puissance dans la région. Ils ont déployé des troupes au Niger, en Centrafrique, en Libye et au Soudan, des pays limitrophes d’où ils pourraient nuire, si besoin, au Tchad. «Dès lors, le réalisme commande de leur montrer de la considération», indique une source sécuritaire. Le chercheur Remadji Hoinathy y voit une raison avant tout politique. La présidentielle, que l’on annonce tendue, se tient le 6 mai. «Le pouvoir se sert des Russes pour contraindre les Occidentaux, et particulièrement la France, à modérer voire taire ses critiques.»
 
La zone de turbulences que traverse la relation entre N’Djamena et Washington a toutefois entretenu la crainte de voir le Tchad rallier la tendance malienne. Une fois de plus, la mèche a été allumée par les réseaux sociaux. Mi-avril, une fuite a révélé que le chef d’état-major de l’armée de l’air avait demandé à l’attaché de Défense américain «d’arrêter immédiatement les activités américaines» sur la base de Kosseï, à N’Djamena, où sont stationnées quelques dizaines de forces spéciales au milieu de plusieurs centaines de soldats français.
 
Selon le New York Times, les 75 hommes qui apportaient un appui dans la lutte antiterroriste au Nigeria contre Boko Haram ont été rapatriés en Allemagne. Si la concomitance de ce départ avec l’expulsion de la base est du plus mauvais effet, tous s’attachent à en limiter la portée. «C’est un simple problème d’accord à reformaliser», tempère un haut gradé tchadien. Là, encore le volet politique serait majeur. «Il s’agit de faire pression sur Washington dans le contexte électoral», continue le même militaire. Le Pentagone assure d’ailleurs que la «coopération sécuritaire» reprendra après la présidentielle. L’affaire du débarquement russe pas tout à fait oubliée Reste que l’affaire du débarquement russe n’est pas totalement oubliée.
 
La piste de soldats hongrois semble en effet s’éloigner. La chose était pourtant étrangement crédible. En novembre dernier, le ministère de la Défense hongrois annonçait le déploiement au Tchad de 200 militaires pour «encadrement sur le champ de bataille», un accord ratifié par le Parlement à Budapest. Ces hommes devaient officiellement contribuer à la lutte contre l’immigration illégale ainsi que contre le terrorisme. Un volet humanitaire, géré par Hungary Helps, devait être joint.
 
Il n’a jamais été question d’accueillir des soldats hongrois au Tchad Mahamat Saleh Annadif, ministre des Affaires étrangères tchadien Mais ce dispositif, pensé au départ pour le Niger et avorté en raison du coup d’État à Niamey, a peut-être fait long feu. «Il n’a jamais été question d’accueillir des soldats hongrois au Tchad», affirme Mahamat Saleh Annadif. Pour un proche du président, cette histoire viendrait «du fils d’Orban et de quelques personnes chez nous» mais l’affaire aurait été stoppée «dès qu’elle est arrivée à haut niveau».
 
Le fils du président hongrois, Gaspar Orban, personnage fantasque et décrié, a effectivement été vu à N’Djamena en juillet dernier. Pourquoi alors Budapest a-t-il ratifié un accord devant le Parlement. «Je ne sais pas», tranche le ministre. Selon une source sécuritaire à N’Djamena, les militaires signalés par le site TchadOne, aujourd’hui introuvables, ne seraient pas des Hongrois mais bel et bien des Russes. «Seulement, ils ne devaient pas rester au Tchad mais passer au Soudan pour soutenir les rebelles arabes de Hemedti», affirme-t-elle.
 
La manœuvre se serait faite en collaboration avec les Émirats arabes unis (EAU), soutiens eux aussi de Hemedti dans la guerre qui déchire le Soudan depuis un an. Le Tchad, laisserait son territoire servir de base arrière aux EAU pour accéder à la province soudanaise du Darfour, ce que N’Djamena dément. «Nous n’avons qu’une simple coopération sécuritaire avec les Émirats», insiste le ministre. Un sentiment antifrançais toujours présent Dans ce paysage compliqué, la France, ancienne puissance coloniale et longtemps partenaire quasi unique et omniprésent, tente de tirer son épingle du jeu.
 
La partie est d’importance. Le Tchad est l’ultime tuile du dispositif français militaire au Sahel, après son départ contraint du Mali, du Niger et du Burkina Faso, et le dernier relais d’une influence politique en déclin. La France estime toujours que la présence militaire au Tchad est importante. Un contingent - actuellement un millier d’hommes - y demeure depuis l’opération Épervier en 1986. Pour éviter le scénario malien, Paris a choisi de faire profil bas dans cette période électorale, toujours délicate.
 
Pour l’heure, alors que la campagne se termine, le rôle de la France au Tchad n’a pas été un sujet majeur. Un bon point. Mais le sentiment antifrançais reste bien présent, dans les rangs de la majorité, prompte à s’agacer d’un paternalisme, mais surtout dans ceux de l’opposition qui accuse Paris de soutenir Mahamat Déby. La faute en revient en partie à Emmanuel Marcon qui, en 2021, aux obsèques de Déby père, s’était affiché aux côtés du fils, tout juste désigné président en toute illégalité, donnant l’impression d’un adoubement.
 
Le président français avait aggravé les choses en affirmant qu’il ne «laisserait jamais remettre en question la stabilité» du Tchad. Au moment même où Paris critiquait la junte malienne, les mots avaient laissé l’impression d’un deux poids, deux mesures dévastateur. Ces débuts difficiles semblaient s’estomper, notamment grâce à un effacement et à un silence forcé. Mais début mars, Jean-Marie Bockel, «envoyé personnel» du président français, a affirmé que l’armée française «resterait» au Tchad faisant part au passage de «l’admiration» de la France au président Mahamat Déby.
 
Le rétropédalage et la colère de l’Élysée n’ont pas suffi à réparer les dégâts causés et la relance des doutes sur la neutralité française. L’opposant Succès Masra, tout a son ambition de se donner une image présidentielle, n’a pas trop joué de ce faux pas. Mais en cas de tensions post-électorales, ce dérapage pourrait revenir au premier plan, faisant le jeu d’autres partenaires auprès d’un Tchad désormais très courtisé.
Source Le Figaro | Tanguy Berthemet

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