Vendredi, Octobre 10, 2025
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Le premier ministre et ex-opposant Succès Masra mène une campagne offensive inattendue contre le président de la transition, Mahamat Idriss Déby. Le ton monte au Tchad à une semaine du premier tour de l’élection présidentielle qui doit mettre un terme à la transition débutée au lendemain de la mort d’Idriss Déby Itno, en avril 2021.
Meeting du premier ministre et ancien opposant Succès Masra au stade de Moundou, dans le district de Dombao, dans le sud du Tchad, le 28 avril 2024. JORIS BOLOMEY / AFP
 
La campagne avait pourtant démarré le 14 avril sur un registre plutôt cordial : le fils du défunt, Mahamat Idriss Déby Itno, défendant le bilan de ses trois années à la tête de la transition ; ses neuf adversaires formulant des promesses de développement. La dernière ligne droite avant le vote prévu lundi 6 mai semble cependant déjouer les pronostics des analystes qui, jusque-là, prédisaient un scrutin sans enjeu ni engouement. L’ancien opposant Succès Masra, accusé d’être un « candidat prétexte » servant à donner l’illusion d’un scrutin ouvert depuis qu’il a été nommé premier ministre le 1er janvier, mène désormais une campagne offensive.
 
« Tous les sondages me donnent vainqueur », prétend-il, promettant à ses militants la victoire par « un tour KO ». « Quarante-cinq jours de stage à Harvard, ça leur tourne la tête », lui a rétorqué Mahamat Déby depuis la tribune à Sarh, dans la région du Moyen-Chari. Ses soutiens promettent qu’« un uppercut » suffira à mettre un terme aux ambitions du chef de file du parti Les Transformateurs.
 

Appel « à la retenue »

 
L’« escalade verbale » inquiète l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE) qui, jeudi 25 avril, a appelé « à la retenue ».
 
Mais celle-ci peine à se faire entendre alors que les candidats jettent désormais leurs forces dans la « bataille du Sud », la partie du pays « la plus densément peuplée et donc le plus grand réservoir de voix », précise l’anthropologue Ladiba Gondeu. Dans cette zone traditionnellement hostile au pouvoir, ce dernier mise sur l’éparpillement des voix de l’opposition.
 
Sur les dix candidats dont le dossier a été retenu par la Cour constitutionnelle, huit sont issus du Sud. « Le ralliement de l’opposant historique Saleh Kebzabo devrait lui permettre de récupérer quelques électeurs du Mayo-Kebbi dans le sud-est et le sud-ouest, dont les habitants sont sociologiquement hostiles aux populations des Logones dans le Sud », ajoute Ladiba Gondeu. Jeudi, Mahamat Idriss Déby a rempli le stade de Moundou, plus grande ville du sud, placée pour l’occasion sous étroite surveillance militaire.
 
Le général de 40 ans a gagné en assurance et peut aussi compter sur la mobilisation des centaines de « bureaux de soutien » qui ont poussé comme des champignons dans la capitale, N’Djamena, ces dernières semaines. « Ils sont formés par des cadres de l’administration ou du privé, entraînés dans une surenchère pour exhiber leur dévouement au chef de l’Etat dans l’espoir d’obtenir en retour des marchés ou des postes à responsabilité », explique un analyste sous couvert d’anonymat.
 
Ces « bureaux » sillonnent actuellement le pays dans de longues caravanes de véhicules rutilants, s’assurant à chaque étape de la qualité de l’accueil réservé à leur candidat, quand d’autres prétendants à la magistrature suprême tels que Brice Mbaimon Guedmbaye et Théophile Bongoro Bebzouné crient à « l’utilisation inéquitable des moyens de l’Etat (…) Comme au temps de Déby-père ».
 

« Il a remis son costume d’opposant »

 
Conscients du poids de cet héritage, les responsables de la communication du président de la transition martèlent que le Mouvement patriotique du salut (MPS), fondé par Idriss Déby, n’est que l’un des plus de deux cents partis qui forment la coalition soutenant la candidature de son fils.
 
Il reste que, pour Remadji Hoinathy, chercheur à l’Institute for Security Studies (ISS), le successeur « n’est pas parvenu à renouveler ni à rajeunir l’appareil du MPS ». Son principal rival pousse ainsi à un vote sanction, après trois décennies de concentration du pouvoir au sein de la même famille. « Les ressources financières du pays sont là, mais ils sont assis dessus depuis trente-quatre ans », a dénoncé Succès Masra depuis Abéché, dans l’est du pays, le 19 avril.
 
« Masra surprend tout le monde en passant à l’offensive, juge un observateur tchadien, il a remis son costume d’opposant ! » Les images de la foule compacte rassemblée à Sarh pour son meeting semblent indiquer que sa popularité n’a pas forcément souffert de sa cohabitation avec la présidence, ni de ses réformes impopulaires comme la hausse des prix du carburant. « Le rejet du régime est tel que, faute d’alternative, les Tchadiens font le choix de celui qui représente l’espoir d’un changement, même si c’est un choix par défaut », considère Remadji Hoinathy.
 
Lorsque la caravane des Transformateurs, le parti de Masra, a traversé le centre-ville de la capitale, le 14 avril, on a ainsi pu assister à d’étonnantes scènes : les militants du premier ministre échangeant de fraternelles salutations avec les gardes armés protégeant la présidence. Le 20 octobre 2022, les militaires avaient pourtant violemment réprimé les manifestations lancées notamment à l’appel du parti de Succès Masra : 128 personnes avaient alors été tuées, selon la Commission nationale des droits de l’homme. « Je suis convaincu que notre armée se rangera derrière celui qui gagnera », veut désormais espérer le premier ministre, qui promet de « doubler le salaire des militaires » s’il est élu.
 

« La sentinelle du vote »

 
« Et si Masra cachait son jeu ? S’il avait joué au premier ministre docile pendant quatre mois pour abattre ses cartes au dernier moment ? », s’interroge aujourd’hui un observateur occidental, soulevant ainsi une autre question : le résultat de la présidentielle se jouera-t-il dans les urnes ou dans la rue ? « Même depuis qu’il est premier ministre, Masra n’a remis en cause ni la composition de l’ANGE ni celle du Conseil constitutionnel alors que les deux principales institutions électorales sont largement aux mains du MPS, poursuit la même source.
 
Mais cela ne signifie pas forcément qu’il acceptera les résultats. » Dans son communiqué cité plus haut, l’ANGE « met en garde contre l’utilisation abusive des réseaux sociaux » et « rappelle que la proclamation des résultats provisoires relève [de son] ressort exclusif ». Un avertissement suivi d’une mise en garde après que Succès Masra a appelé ses militants à être « la sentinelle du vote », en prenant en photo les procès-verbaux de dépouillement du scrutin. Interdit, a rétorqué l’ANGE alors que le Code électoral ne prévoit pas leur affichage à l’entrée des bureaux de vote.
 
Si les résultats proclamés ne correspondent pas à ses attentes, Succès Masra en appellera-t-il de nouveau à la rue ? Si oui, ses militants répondront-ils à nouveau présent malgré le souvenir de la répression du « jeudi noir », comme ils le surnomment ?
 
« C’est soit le changement, soit un nouveau 20 octobre, répond instantanément un jeune Transformateur. Les tensions ont déjà dépassé le stade des invectives. Des panneaux de campagnes à l’effigie de Mahamat Idriss Déby démontés par la foule près de Sarh circulent sur les réseaux sociaux.
 
À N’Djamena, un bureau des Transformateurs aurait été incendié. Si le phénomène semble marginal pour l’instant, la dureté des propos entre le président de transition et son premier ministre a déjà affaibli la perspective d’un prolongement de leur cohabitation inattendue.
Source Le Monde | Carol Valade

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