Vendredi, Octobre 10, 2025
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Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, le parti de Nelson Mandela va devoir s’allier avec ses principaux rivaux pour se maintenir au pouvoir, sur fond de montée du populisme dans le pays. La vie politique sud-africaine vient d’entrer dans une nouvelle ère.
Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, à Johannesburg, le 25 mai 2024. JEROME DELAY / AP
 
Les résultats des élections générales du 29 mai, proclamés officiellement dimanche 2 juin, entérinent la fin de la domination sans partage du Congrès national africain (ANC). Plombé par la criminalité qui sévit dans le pays, le chômage massif et la déliquescence des infrastructures, notamment les coupures de courant qui empoisonnent la vie des habitants depuis deux ans, le parti a recueilli à peine 40,2 % des voix, soit dix-sept points de moins qu’en 2019.
 
Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, l’ANC devra former une coalition à l’Assemblée nationale pour conserver le pouvoir. Un exercice inédit qui place la démocratie sud-africaine sur une corde raide, alors que l’on observe une montée des populismes dans le pays. D’ici à l’élection du président par l’Assemblée nationale, qui doit avoir lieu d’ici quatorze jours, le parti devra rapidement panser ses plaies. Car si son déclin dans les urnes était attendu, peu de gens avaient anticipé une dégringolade aussi dure.
 
La formation reste le premier parti du pays, loin devant son principal concurrent, l’Alliance démocratique (DA), issue de l’opposition blanche à l’apartheid et classée au centre droit, qui rassemble 21,7 % des voix. Mais rarement on aura vu vainqueur à la mine aussi sombre. Alors que les dirigeants de tous les partis ont fait une apparition au centre national des résultats à Johannesburg, le président Cyril Ramaphosa était toujours invisible, dimanche après-midi.
 
Mais dès jeudi, le numéro deux du parti, Gwede Mantashe, apparaissait sonné.
 

« Résultat sensationnel » du parti de Jacob Zuma

 
Car il est vite devenu clair que cette élection révélait une poussée inattendue du parti de l’ancien président Jacob Zuma, uMkhonto we Sizwe (MK, « le fer lance de la nation »). Accusé de corruption et poussé à démissionner de la présidence par ses camarades de l’ANC sur fonds de multiples scandales en 2018, Jacob Zuma, 82 ans, s’est lancé dans la course électorale à la surprise générale, en décembre 2023, en jurant de prendre sa revanche sur « l’ANC de Ramaphosa », son successeur à la tête du parti à qui il voue une haine viscérale.
 
C’est chose faite. Si l’ancien dirigeant a été interdit d’être candidat à un poste de député en raison d’une condamnation pour outrage à magistrat, son parti devient la troisième force politique du pays avec 14,5 % des voix. Dans son fief, la province clef du Kwazulu-Natal, le MK se place même en première position avec 45 % des suffrages, reléguant l’ANC à la troisième place. Impensable il y a quelques mois. Fort de ce résultat, le parti de Jacob Zuma a décidé de bouder la proclamation des résultats officiels.
 
« Le parti MK a réalisé un résultat sensationnel, souligne l’analyste politique Mike Law, chercheur au sein du cabinet de conseil Paternoster. Sa base se concentre sur un groupe ethnique [les Zoulous, communauté à laquelle appartient Jacob Zuma], et c’est le plus important en nombre du pays. Cela souligne une montée des politiques identitaires », complète-t-il. A défaut d’offrir un programme clair, Jacob Zuma est parvenu à mobiliser à grands coups de diatribes populistes. « C’est un phénomène qui n’est pas unique à l’Afrique du Sud.
 
On voit une poussée des acteurs nationalistes partout dans le monde », poursuit Mike Law. Jacob Zuma, qui se plaît à se dépeindre en victime d’une cabale prétendument orchestrée par le « monopole capitaliste blanc » à mesure que s’amoncellent ses ennuis judiciaires, est de plus en plus régulièrement comparé à Donald Trump. L’ancien président sud-africain a également profité de la démobilisation des électeurs : le taux de participation, qui chute depuis vingt ans dégringole encore. Seuls 58 % des inscrits se sont déplacés pour voter, contre 66 % en 2019.
 

Alliance obligée

 
L’ANC n’a désormais plus d’autre choix que de s’allier avec un ou plusieurs de ses principaux concurrents.
 
Un exercice d’équilibrisme à haut risque pour la jeune démocratie sud-africaine qui vit le crépuscule de la domination d’un parti. Une anomalie qui rapprochait le fonctionnement des institutions d’un régime présidentiel, alors que le système post-apartheid a été conçu sur un modèle parlementaire. Face à ce défi, l’Afrique du Sud est à « la croisée des chemins », souligne Mike Law.
 
L’ANC pourrait faire alliance avec le parti des Combattants pour la liberté économique (EFF), une formation d’extrême-gauche, et/ou le MK, qui souhaitent tous les deux réviser la Constitution pour permettre notamment une confiscation de certaines terres par l’Etat sans compensation. Ou bien le parti pourrait s’allier avec son principal opposant, le DA, qui plaide pour des réformes libérales et passe pour un modèle de gouvernance au niveau local.
 
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Et si l’option d’une coalition avec le DA, éventuellement élargie à de plus petits partis, semble emporter la préférence des plus hauts dirigeants de l’ANC, une profonde ligne de fracture divise le mouvement alors que chacun pose ses conditions sur la table.
 

Accusations de fraudes

 
Du côté du MK, on ne réclame rien de moins que la tête de Cyril Ramaphosa. L’option est pour le moment écartée par la direction de l’ANC. L’EFF exige, entre autres, l’exclusion de tout partenaire qui serait « une marionnette de l’impérialisme occidental ».
 
Quant au DA, considéré par une partie de l’ANC comme une force réactionnaire créée pour préserver les privilèges de la minorité blanche, il assure qu’aucun accord ne sera passé sans que le parti ne revienne notamment sur les politiques de discrimination positive destinées à corriger les inégalités issues de l’apartheid. Une ligne rouge pour beaucoup au sein de l’ANC. « La perspective d’une coalition avec l’Alliance démocratique dépend entièrement du maintien à la présidence de Cyril Ramaphosa.
 
Mais il ne faut pas s’y tromper, le président est vulnérable désormais », précise Mike Law. Si l’actuel président jouit d’un large soutien au sein du comité exécutif de l’ANC, son vice-président, Paul Mashatile, qui se verrait bien prendre sa place, pourrait tenter de profiter de la débâcle pour le déloger. Comme pour donner un peu plus corps à la menace qui plane au-dessus du pays, Jacob Zuma a fait irruption, samedi 1er juin, dans le centre des résultats, pour dénoncer la fraude électorale.
 
Estimant, sans présenter de preuve, que son parti aurait dû emporter les deux tiers des suffrages, il a exigé le report de l’annonce des résultats en attendant la vérification de ses accusations, avant de menacer : « J’espère que les responsables entendent ce que nous disons : ne provoquez pas de problèmes quand il n’y en a pas. » Une vingtaine de partis ont formulé des objections auprès de la commission électorale au sujet du comptage des voix.
 
Mais elles portent sur une minorité de bulletins, qui ne devraient pas être de nature à remettre en cause le résultat.
 
Les revendications de Jacob Zuma pourraient prêter à sourire si la menace n’avait pas un précédent sanglant. En juillet 2021, dans la foulée de son arrestation pour outrage à magistrat, une semaine d’émeutes et de pillages, les pires depuis la fin de l’apartheid, avaient fait au moins 350 morts.
Source Le Monde | Mathilde Boussion

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