Vendredi, Octobre 10, 2025
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A l’occasion du Forum pour la paix et la sécurité qui s’est tenu dans la capitale togolaise, les juntes malienne, burkinabée et nigérienne ont défendu leur ligne souverainiste, fustigeant le « colonialisme » et les sanctions de la Cedeao.
AFP
A Lomé, trois jours durant, la parole était aux accusés. Du vendredi 20 au dimanche 22 octobre, la capitale du Togo a offert une tribune libre aux putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger à l’occasion du Forum pour la paix et la sécurité.
 
Initiateur de cette réunion alors que ces trois régimes militaires sont sous sanction de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le gouvernement togolais défend une diplomatie qui se veut pragmatique et promeut le dialogue avec les juntes en rupture de ban avec leurs voisins et les Occidentaux, la France en premier lieu.
 
Parmi les personnalités les plus attendues de la réunion figurait le général Mohamed Toumba, ministre nigérien de l’intérieur depuis le coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum, le 26 juillet.
 
Manifestement en confiance, l’officier a l’imposante carrure a pu menacer « haut et fort », dimanche à la tribune de l’hôtel 2 Février, ceux qui seraient tentés de restaurer par une intervention militaire le pouvoir de celui qu’ils détiennent depuis bientôt trois mois.
 
« Replacer le président Bazoum est une utopie », a estimé le général Toumba, avant de conclure : « Si on force, c’est peut-être son cadavre qu’il faudra venir chercher. » Jeudi, la junte avait accusé Mohamed Bazoum d’avoir tenté de s’évader à l’étranger, procédant dans la foulée à l’arrestation de complices présumés.
 
Depuis, les avocats du président déchu se sont inquiétés de ne plus avoir de nouvelles de lui et ont réclamé, sans succès, une preuve de vie. « Il va bien. Il est toujours avec sa famille, avec son fils », à la résidence présidentielle, a répondu au Monde le général Toumba, sans plus de précisions.
 
L’opération militaire brandie par la Cedeao semble chaque jour plus improbable, mais la menace du ministre nigérien de l’intérieur a provoqué un silence glacial dans la salle, sidérant l’assemblée composée d’hommes politiques africains, de représentants d’instances internationales et d’intellectuels.

Le Togo joue sa propre partition

Devant l’irruption de ces pouvoirs militaires au Sahel, qui jouent une partition mêlant nationalisme, autoritarisme et rejet des pressions occidentales, le Togo, bien que membre fondateur de l’organisation ouest-africaine, joue sa propre partition, privilégiant, selon sa vision, le dialogue et l’accompagnement des juntes vers une transition démocratique - l’objet même de ce forum de Lomé. Quitte à froisser certains chefs d’Etat voisins. Aucun n’a fait le déplacement ce week-end.
 
Devant l’assistance, et alors que certaines capitales de la région s’inquiètent d’une prolongation indéfinie de ces régimes dits de transition, le général Toumba a pu appeler à la « solidarité » : « Nous avons pris sur nous pour dire qu’on ne va pas dépasser trois ans [au pouvoir].
 
Maintenant qu’on s’est fixé un délai, nous voulons en réaction que la communauté internationale nous accompagne au lieu de continuer de nous imposer des sanctions. » Une mansuétude réclamée plus tôt par Olivia Rouamba, la ministre burkinabée des affaires étrangères. Les coups d’Etat dans leurs pays respectifs, ont soutenu les putschistes, ne sont que les symptômes d’une maladie plus profonde, celle de la démocratie, incarnée par des régimes civils corrompus ayant échoué à lutter contre un fléau terroriste qui ne cesse de gagner du terrain depuis plus de dix ans.
 
Reste que ce motif sécuritaire, utilisé par les trois régimes militaires sahéliens pour justifier leur putsch, est un faux argument pour Mahamat Saleh Annadif, le ministre des affaires étrangères du Tchad - pays également gouverné par un militaire, le général Mahamat Idriss Déby, arrivé au pouvoir de manière anticonstitutionnelle en avril 2021 après la mort de son père, le président Idriss Déby Itno.
 
« Invoquer les raisons sécuritaires est un piège dans lequel il est facile de tomber et difficile de sortir. Comme le fait de dire qu’il faut résoudre le problème terroriste avant de céder le pouvoir. C’est une illusion. Une transition ne peut pas régler tous les problèmes et rien pour moi ne justifie une transition longue », a souligné Mahamat Saleh Annadif auprès du Monde.
 
La junte malienne, dont le putsch d’août 2020 a amorcé la vague des coups d’Etat qui a ensuite déferlé sur la région (six autres ont été perpétrés au Mali, au Burkina Faso, au Niger, mais aussi en Guinée et au Gabon), a annoncé en septembre le report du scrutin présidentiel prévu en février 2024 et dit que la priorité n’était pas aux élections mais à la guerre contre les groupes terroristes, une définition large qui va des djihadistes aux ex-rebelles du nord du pays, avec lesquels Bamako avait signé un accord de paix.

« La démocratie, oui, mais à l’africaine »

« Il ne faut pas jeter l’anathème sur tous les régimes militaires », a défendu Olivia Rouamba dans un pamphlet largement consacré à l’ancienne puissance coloniale. Sans toutefois citer nommément la France, la ministre burkinabée a fustigé le « colonialisme » et regretté que l’Afrique se soit vu « imposer le multipartisme et la démocratie comme mode de gouvernance », avec pour conséquence « des élections mal gérées ».
 
« La démocratie, oui, mais à l’africaine », a-t-elle plaidé, sans définir sa spécificité, avant de prévenir qu’il n’y aura désormais « pas de compromission qui tienne » concernant la souveraineté africaine.
 
Cette ligne souverainiste, où le complotisme n’est jamais loin - avec la France comme première cible -, a également été défendue par son homologue malien. A Lomé, Abdoulaye Diop a soutenu une nouvelle fois que les groupes terroristes au Sahel avaient été « créés par des officines des services de renseignement étranger ».
 
En août 2022, le chef de la diplomatie malienne avait déjà dénoncé à l’ONU la prétendue duplicité de Paris, affirmant détenir « des éléments de preuve » sans jamais les produire publiquement. Le ministre, membre d’un gouvernement qui a été le premier au Sahel à pousser les soldats français vers la sortie en 2022, avant d’être imité par le Burkina Faso et le Niger, a aussi estimé que Paris avait sa part de responsabilité dans l’inefficacité des organisations régionales africaines.
 
« Nos organisations sont instrumentalisées. Ce n’est pas la démocratie qu’elles cherchent à promouvoir [à travers leurs sanctions], mais l’agenda d’une ancienne puissance coloniale qui a perdu pied et qui utilise nos organisations pour revenir », a-t-il soutenu avec sa verve habituelle, avant de justifier la solution trouvée par les régimes militaires malien, nigérien et burkinabé pour éviter qu’à l’avenir leur « organisation soit téléguidée de l’extérieur » : l’Alliance des Etats du Sahel (AES).
 
Si le pacte, signé en septembre, est avant tout présenté comme une alliance sécuritaire, Abdoulaye Diop a annoncé dimanche que les chantiers lancés par l’AES pourraient être bien plus larges et toucher aux « questions de développement, y compris monétaire ».
 
Iront-ils jusqu’à sortir du franc CFA, la monnaie commune de la région, devenue symbole d’un lien jamais rompu avec Paris ? Même si l’intention de rupture n’était pas concrétisée, la volonté affichée est aussi à usage interne et destinée, par conviction ou opportunisme, à des populations de plus en plus sensibles à ce qu’elles considèrent comme relever de leur propre souveraineté.

Nelson Mandela (1918-2013)

mandela 01Nobel Prize 1993
Former President of the South African Republic (1994-1999)

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