« Bob Marley : One Love » : trois vérités que le film ne dit pas
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Les biopics musicaux ont le vent en poupe. Après Elton John, Freddie Mercury, Whitney Houston, Elvis, et avant Amy Winehouse ou Michael Jackson (en avril 2025), c'est au tour de Bob Marley d'avoir, enfin, son incroyable destin porté sur grand écran.
Sorti en salle ce mercredi 14 février, le film Bob Marley : One Love est réalisé par Reinaldo Marcus Green (La Méthode Williams) et produit par le fils du musicien Ziggy Marley, sa veuve Rita Marley et Brad Pitt. Si le long-métrage se concentre sur la période entre les concerts pour la paix en Jamaïque (1976 et 1978), l'ambiance survoltée de l'époque n'est que survolée.
Et, surtout, il ne dit pas tout de la star jamaïcaine. Voici trois vérités à rétablir à son sujet.
Bob Marley avait une personnalité complexe
Dans Bob Marley : One Love,si le quotidien du chanteur est bien représenté (sa stricte routine sportive, son exigence en studio, sa générosité, son rapport intime, à la fois paternel, mystique et politique, à la religion?), l'acteur (Kingsley Ben-Adir) peine à incarner cette personnalité complexe ?
La faute à son visage poupon, à son air hilare ? En Jamaïque, il est commun d'être connu sous plusieurs noms. Bob en a trois, qui correspondent à ses trois personnalités : « Bob Marley » la super star, « Robert Nesta Marley » l'homme humble, compréhensif et doux avec les femmes et ses enfants, et « Tuff Gong » le révolutionnaire dur du ghetto.
Derrière ses allures de rasta fumeur de ganja, Bob Marley est déterminé, parfois féroce. Sa force physique et morale impose le respect. Son regard sous des sourcils sombres presque toujours froncés lui confère beaucoup d'autorité, malgré son jeune âge. Il est beau, mais ses traits sont marqués par la dureté de son enfance, les abandons de ses parents, les coups de son beau-père, les déceptions de sa famille, le racisme, en tant qu'enfant métisse évoluant dans un pays divisé en deux mondes qui ne se mélangent sous aucun prétexte.
En concert, il est une boule d'énergie ; en coulisses, il est calme. Il ne sourit presque jamais. Pire : c'est comme si son visage renfermait tous les soucis du monde. Parfois, quelqu'un fait une blague, il rit d'un coup, et le monde se gonfle soudain de légèreté. Bob Marley est un homme singulier, décrit par le poète jamaïcain Linton Kwesi Johnson comme « tantôt jovial, volubile et spirituel, un lion qui dort capable de rage violente, un faiseur de paix, un homme à femmes et un homme d'une prodigieuse générosité ».
Ce n'est pas pour rien que plus de cinq cents livres ont été publiés à son sujet. Il est fascinant et son parcours est palpitant. « Produit de Babylone » (ainsi se définit-il), il est né dans un milieu modeste, avant de connaître la misère, la faim, la résilience, la survie, les échecs, la gloire, l'argent, l'amour, la luxure, la maladie, la mort. Tout ça en à peine trente-six ans.
Il est le fruit d'une courte idylle entre le « Capitaine » Norval Marley, un ingénieur en ferrociment et garde forestier anglais de 60 ans, issu d'une famille de riches planteurs blancs, et Cedella Malcom, une paysanne noire de 16 ans. Contrairement à ce que sous-entend le film, son père l'a reconnu, avant de disparaître pour de bon.
Robert Nesta Marley est né le 6 février 1945, dans la maison de son grand-père maternel à Nine Miles, village entouré de plantations, situé dans la paroisse de Saint Ann, dans le nord de l'île, un nid vert perché à 3 500 mètres d'altitude. Sa mère ne le garde pas longtemps auprès d'elle : elle le confie à ses parents pour tenter sa chance à Kingston, où elle travaillera comme femme de ménage. À 12 ans, il la rejoint à Trench Town, un bidonville de la capitale ultra-violent.
C'est là qu'il sympathise avec le fils du petit ami de sa mère, Neville Livingston, avec qui il monte, en 1961, avec Peter Tosh, son premier groupe : les Wailers, « ceux qui gémissent », parce qu'ils n'ont de cesse de se plaindre des injustices subies par les Noirs et les pauvres. Il est excellent mélodiste, ses textes rivalisent avec les plus grands chanteurs de folk. Il accède au marché occidental en chantant en anglais mais touche aussi le tiers-monde, car il en vient.
Ses textes, qui transforment les sentiments des plus démunis en hymnes protestataires et spirituels, sont d'une poésie inattendue, ses images simples et frappantes de beauté. Si Bob Dylan a eu le prix Nobel de littérature, Bob Marley aurait pu y prétendre. L'aventure de Marley avec Miss Monde n'est pas une passade Le film l'admet du bout des lèvres, mais ce n'est un secret pour personne : Bob n'était pas l'homme d'une seule femme. Parmi ses conquêtes, on trouve des avocates, des actrices, des héritières de pétrole, ainsi que quelques chanteuses qui mettent leur carrière en stand-by pour rester à ses côtés.
Tout en haut de son palmarès trône l'ancienne Miss Monde Cindy Breakspeare. Celle-ci est la seule que Rita Marley, l'épouse officielle, considère vraiment comme une menace. Preuve qu'elle compte plus que les autres : Bob offre une BMW à Rita en contrepartie de son incartade? Car Cindy a la ferme intention d'épouser Bob. À 20 ans, cette mannequin aux yeux verts, fille d'un Jamaïcain et d'une Canadienne, gère un club de gym et une boîte de nuit à Kingston.
Bob finance sa participation au concours de Miss Monde, qu'elle remporte, à Londres, où les Wailers sont exilés. C'est justement cette partie, censée être couverte par le film, qui reste en surface et décousue. Cindy n'apparaît que sur quelques plans, elle n'a pas une seule ligne de dialogue ? Rita produit, ne l'oublions pas? Leur relation a pourtant scandalisé la Jamaïque bien-pensante : que la plus belle fille du pays choisisse un rasta comme compagnon est incompréhensible.
On les appelle « la belle et la bête » ! Leur alliance brise un tabou, fait tomber une barrière. Bob écrit la splendide et sensuelle ballade « Turn Your Lights Down Low » pour elle, et non pour Rita, comme le suggère le film. En 1978, ils ont un fils : Damian Marley. Bob Marley a été arnaqué des années par son manageur La première fois que Bob Marley chante en Afrique ? son rêve le plus cher ?, c'est au Gabon, en 1980, sur l'invitation de Pascaline Bongo, fille du président Omar Bongo, avec laquelle il aura une histoire d'amour passionnelle à la fin de sa vie.
Comprenant que Bongo est richissime, le manageur de Bob Marley, Don Taylor, le convainc de faire payer au moins les frais de transport au président, soit 40 000 dollars. Après le concert, la s?ur de Pascaline demande au musicien s'il a bien reçu les 60 000 dollars de son père ? Marley comprend que Don Taylor l'a roulé, qu'il a surfacturé le concert et qu'il compte garder les 20 000 dollars de différence.
Mortifié, il rentre à l'hôtel, le visage plus « tuff » que jamais. Dans sa chambre, il saute sur son manageur et le questionne pendant trois heures, enregistrant la conversation, avant de le suspendre par la fenêtre du dernier étage ? Don avoue l'arnaquer depuis des années : sur 15 000 dollars négociés par concert, il ne lui reversait que 5 000 dollars.
Pas étonnant que Bob Marley, superstar jouant à guichets fermés, ne gagne presque rien en tournée ! Quand Don lui dit qu'il est incapable de lui rembourser les sommes volées (dépensées en drogue et au jeu), Bob le vire. Donc la scène du film où il frappe Don Taylor deux ans plus tôt parce qu'il l'a volé, dans les coulisses d'un concert aux États-Unis, est probablement inventée.Source Le Point | Anne-Sophie Jahn